En Amérique et en Asie, il n’est pas rare de voir un professeur du milieu académique au conseil d’administration d’une multinationale, sinon à la tête d’un de ses centres de recherche. Alors que patrons américains et asiatiques confient plus facilement la direction de leur laboratoire à des professeurs/maîtres de conférence, en France, cette situation est encore inimaginable. L’entre soi est de mise même dans la R&D.

C’est un déjeuner peut être inimaginable en France. Sur cette photo de mai 2011 dans la Silicon Valley, vous voyez, autour du président Obama, le gotha mondial des nouvelles technologies de l’information. Vous avez de dos Steve Jobs amaigri, de profil Eric Schmidt, ex-patron de Google, en face John Chambers, CEO de Cisco et à la droite d’Obama, Mark Zuckerberg, fondateur de Facebook pour une fois décemment habillé d’une chemise blanche.

Mais ce toast a une particularité. Remarquez au fond de l’image un homme grisonnant entre Reed Hastings, fondateur de Netflix, et Carol Bartz, patronne à l’époque de Yahoo. C’est un académicien. John L. Hennessy est président de Stanford University et siège au conseil d’administration de Google. Sur sa fiche Wikipédia, il est indiqué qu’il est tout à la fois informaticien, académicien et homme d’affaires. Il paraît même que Marc Andreessen, co-créateur de Mosaic, premier navigateur du web, le surnomme « le parrain de la Silicon Valley ».

GAFA plus forts que le CAC 40

On peut s’interroger alors ? Pourquoi dans notre pays, est-il inimaginable de voir un académicien d’une grande école ou d’une université siéger au C.A. d’un fleuron du CAC 40, sinon diriger son laboratoire ?

En 1998, une étude anglaise du Départment of Trade and Industry estimait que sur les 300 premières sociétés mondiales, en termes d’investissement dans la recherche-développement, il n’y avait que 18 groupes français, 69 japonais et 133 américains. Déjà à l’époque, cette étude trouvait que « …le plus préoccupant est à l’évidence la très faible présence des groupes français dans les secteurs où l’intensité de la recherche est actuellement la plus forte : systèmes informatiques et biotechnologies… ».

Ainsi, 17 années plus tard, le 22 février 2015 la presse française pouvait annoncer sans surprise : « …Google, Apple, Facebook et Amazon plus forts que le CAC 40 ? Non, vous ne rêvez pas, les quatre géants de la Silicon Valley sont bel et bien plus cotés que les 40 entreprises de la bourse française, le CAC40… ». Alors, le manque d’intégration d’académiciens dans les entreprises françaises, a-t-il été déterminant dans cette sous-capitalisation du CAC 40 face à des anciennes startups californiennes, toutes nées comme le veut le mythe américain dans un garage ?

Il faut le croire, car en France la confusion entre recherche industrielle et académique persiste. Pour exemple, la comparaison entre ce fleuron francais de l’énergie qui met en avant, pour sa stratégie en R&D, un de ses scientifiques qui a fait toute sa carrière dans l’industrie et n’a pour activité universitaire que quelque cours comme vacataire, et le jeune Mark Zuckerberg, fondateur de Facebook qui actuellement n’a de yeux que pour son académicien breton, Yann le Cun, spécialiste mondial de l’intelligence artificielle, et qui vient, début février, de donner sa leçon inaugurale au Collège de France. Son hôte, le secrétaire d’État à la Recherche, Thierry Mandon a assisté à ce premier cours.

La confiance de se projeter vers le futur lointain

Le Dr. Merouane Debbah, normalien et professeur à Central Supélec, qui dirige depuis un an le centre de recherche de Huawei, à Paris, en mathématiques et algorithmique, fait le même constat : «…Les groupes internationaux sur les secteurs technologiques prennent des professeurs du milieu académique pour diriger leur recherche. Il y a une réelle confiance à confier les mains de leurs destins au monde académique et aux professeurs… ».

Cette confiance de se projeter vers le futur lointain est traditionnelle à Microsoft, dont la vice-présidence du département de recherche a été confiée, en 2012, à Jeannette Wing, professeur d’informatique à l’Université Carnegie-Melon. Les Asiatiques et les Américains ont compris qu’intégrer des académiciens à un haut niveau de leurs entreprises, permet souvent d’avoir des relations privilégiées avec les laboratoires d’excellence des universités, grandes écoles et autres instituts de recherche.

Deux années après avoir recruté Yann le Cun, le jeune Mark Zuckerberg pouvait signer un communiqué en juin 2015 pour annoncer en anglais, « …la signature d’un accord dans le domaine de la recherche en intelligence artificielle, entre Facebook et l’Institut national de recherche en informatique et en automatique… », crée en 1967, dans le cadre du Plan Calcul à Rocquencourt, dans les Yvelines.

Ainsi, on peut imaginer que le déjeuner américain de mai 2011 à la Silicon Valley, avait pour apéritif un vin blanc du type Chablis.