Hôtellerie et nouvelles technologies ou le risque d’une déshumanisation

La montée d’Internet préfigure une nouvelle expérience-client dans l’hôtellerie. Le risque ? L’hôtelier ne jouera plus son rôle habituel d’information, de bons plans ou d’explications historiques de son quartier aux touristes. L’hôtellerie se déshumanise et cela pose un réel problème.

Il faut vivre une semaine l’expérience de garçon d’accueil dans un hôtel du Quartier Latin pour appréhender les mutations de l’industrie hôtelière et sa relation à son environnement urbain. Hier, le touriste américain lisait Hemingway, l’italien le roman policier d’Enrico Pandiani, avant de se décider à acheter un guide de Paris et prendre bateau, avion ou train pour converger vers Paris et son quartier mythique, celui des existentialistes, de Notre-Dame, la Sorbonne, le Panthéon et autres sites.

Durant cette expérience d’accueil début août, dans un deux étoiles derrières le Boul’Mich, parmi les clients, une Suissesse est venue pour retrouver les souvenirs de ses cours de philo à la Sorbonne, une mère venue de Rome accompagne sa fille inscrite à Sciences-Po à la recherche d’un appartement parisien et un poète danois de 20 ans voulait quant à lui vivre dans les murs qui ont abrité un jour Arthur Rimbaud. Pour ces clients comme pour les autres, à l’accueil de cet hôtel, la demande de contacts humains était naturelle. Mais pour eux comme pour d’autres, s’il n’y a plus d’échange avec l’hôtelier pour vivre un instant de la mémoire du quartier, la mutation numérique de l’hôtellerie parisienne a de quoi inquiéter.

La déshumanisation du voyage et des découvertes touristiques

La numérisation à marche forcée des services touristiques, allant de la réservation sur les plateformes américaines suivie de la navigation du client sur Smartphones et tablettes jusqu’à l’installation dans des chambres accaparantes par les offres digitales, crée un précédent de déshumanisation du séjour touristique. Pire, la tendance forte d’un équipement des chambres d’hôtel de domotique de plus en plus performante, va à l’encontre de l’idée symbolique du voyage. Puisque plus on capte l’attention du visiteur par des gadgets dans les chambres, plus en lui grignote de son agenda et de son temps de découvertes du territoire pour lequel il a fait tant de kilomètres.

Edmond Chaboche, pionnier des start up de l’informatique au début des années 80, et qui a fait la carrière de celles de nombreux leaders de l’Internet actuel, pense que l’hôtelier doit reprendre la main sur la relation digital avec ses clients : « il ne faut pas accepter la fatalité de voir grever l’addition de chaque client par le pourcentage des plateformes américaines de réservation en ligne et accepter de ne devenir qu’un simple distributeur de clés de chambres. Il est nécessaire que l’hôtelier innove et commence à vendre des produits numériques dérivés ».

L’expérience client via le réceptionniste et l’environnement urbain

Produits numériques dérivés ne veut pas dire cloitrer grâce au digital le touriste ou tout autre visiteur dans une chambre d’hôtel. Mais, lui offrir des services commerciaux et culturels qui vont lui permettre de naviguer physiquement dans un territoire urbain, afin de vivre une expérience unique. L’industrie hôtelière se trouve ainsi à un carrefour stratégique pour son avenir. Il y a les professionnels qui, à coup de millions d’investissements numérique, pensent que le salut est dans la mise en place de plateforme sur le web pour capter le client dès sa recherche d’informations pour son voyage et l’équipement en digital des hôtels. Pour d’’autres l’expérience client via les réceptionnistes et l’environnement urbain de l’établissement et le meilleur retour sur investissement dans un pays comme la France, où chaque centre de ville recèle une pluralité de mémoires et des patrimoines.

Début août, la cliente venue de Suisse était ravie d’apprendre que la rue du petit hôtel où elle était descendue porte le nom de Victor-Cousin, premier réformateur de l’enseignement de la philosophie dans les lycées et professeur d’Honoré de Balzac. Quant au poète danois de 20 ans, ayant franchi la porte de l’hôtel comme un pèlerin pour obtenir la bénédiction d’un ancien client mythique, Arthur Rimbaud a tenu à parler de ce qu’il ressentait. À travers ces vraies expériences clients, humaines, il apparait que ni les plateformes du web américain, ni les groupes tentaculaires de l’industrie hôtelière ne peuvent les offrir. Il faut réfléchir pour savoir jusqu’où il ne faut pas aller…

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