Et si le secteur de l’électricité en ce début du XXIe siècle connaissait les mêmes bouleversements que dans les télécoms de la fin du XXe siècle ?
Pour comprendre l’expression « besoins orphelins », il faut mettre bout à bout des réalités. Il y a 20 ans, lors d’une rencontre, Gordon Moore, le patron d’Intel, était interrogé par Jacques Attali sur sa doctrine, la « loi de Moore », stipulant que l’informatique double en puissance tous les dix-huit mois. L’Américain a répondu qu’on en a encore pour 50 ans. Vingt ans après, on observe déjà les mutations provoquées dans différents secteurs par cette montée en puissance continuelle du numérique.
Le smartphone change nos maisons
La première des industries affectées par ce doublement régulier de la puissance des microprocesseurs fut celle des opérateurs et équipementiers des télécoms. Il y a presque dix ans, personne ne s’attendait à voir, le 29 juin 2007, Steve Jobs révolutionner avec l’iPhone notre accès à la communication mobile. Au regard de sa rapide adoption, on peut dire que l’iPhone était attendu comme un besoin qui n’était satisfait par aucune offre. L’appareil de Steve Jobs, comme les smartphones des autres équipementiers, deviennent les clés de toutes les portes virtuelles auxquelles on veut accéder. Ils bouleversent déjà le rapport au pilotage de l’énergie et notamment la domotique. Ainsi, on ne peut imaginer une solution smart building, smart grids et smart cities sans l’accompagnement d’un smartphone.
L’annonce, en août dernier, par Google du lancement de son application SunRoof, capable par géolocalisation de votre toit d’en mesurer l’ensoleillement et de vous mettre en relation avec des installateurs proches : voilà qui renforce l’idée que le secteur électrique est désormais impacté par le photovoltaïque, devenu un besoin réel. Permettre à chaque propriétaire d’une maison, d’un immeuble, d’accéder, lui-même, à la mesure de sa propre production énergétique, inaugure cette décentralisation de la production électrique tant annoncée.
Le pionnier Tony Earley
Cette idée que la notion « d’objets orphelins » (c’est-à-dire ces objets qui ne trouvent pas leur marché ou les hommes pour les commercialiser) affecte sérieusement le secteur de l’électricité, après celui des télécoms, est même ancrée jusque dans l’esprit des patrons de l’industrie énergétique californienne. Tony Earley est le patron de PG&E Corp, un EDF américain dont la filiale Pacific Gas and Electric Company fournit de l’électricité et du gaz à plus de 5 millions de clients, au centre et au nord de la Californie. L’année dernière, dans un article d’opinion publié par le journal « San Jose Mercury News », l’électricien confirme ce changement de paradigme des industries de l’énergie provoqué par les nouvelles technologies, en écrivant : « … Tout comme les réseaux de télécommunications de l’Amérique ont dû s’adapter pour laisser place au monde des iPhone et du cloud, notre réseau électrique existant doit s’adapter afin de maximiser l’utilisation de l’énergie solaire sur le toit, le stockage de la batterie, et un nombre croissant d’autres innovations dans les technologies propres, ainsi que celles non encore inventées… »
Quid des acteurs européens ?
« Celles non encore inventées… », écrit Tony Earley, qui confirme que son entreprise connecte, toutes les 11 minutes, un client à l’énergie solaire, tout en appelant à une nouvelle économie de l’énergie permettant à tous d’être gagnants – ce qui n’est pas son cas actuellement. Une telle sincérité semble faire défaut chez les patrons de l’industrie électrique de ce côté de l’Atlantique.
Reste maintenant à voir qui a raison : un patron américain qui, dans un journal californien, annonce qu’il a engagé son entreprise, de 150 ans d’âge, dans une mutation technologique sans précédent, ou certains énergéticiens européens qui cherchent encore à gagner du temps pour une production, distribution et consommation centralisées de l’électricité.
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