La région francilienne est en plein chantier avec le Grand Paris. A l’instant de la transition urbaine par l’impact des nouvelles technologies, il est nécessaire d’avoir le point de vue d’acteurs singuliers de la métropole en devenir. Angela Tandura, dont l’«Atelier Tiresisas » est installé à Rosny-Sous-Bois, exprime à bâton rompu son regard sur l’architecture en Ile-de-France.   

Quelle est la singularité d’une architecte d’origine italienne dont les bureaux sont aux portes de Paris ?

L’école d’architecture en Italie, et particulièrement avant la réforme européenne, était surtout axée sur l’histoire du bâti et la restauration des monuments historiques.

Pour réagir à l’encontre de cette notion conservatrice, on a développé dans les universités de nouvelles orientations réunissant professeurs et élèves en faveur de projets contemporains, la recherche des nouveaux matériaux et le développement durable.

On peut dire qu’une des spécificités d’une architecte italienne qui opère dans une ville comme Paris, c’est la capacité d’harmoniser des constructions anciennes avec des projets très contemporains.

Avec en plus, une sensibilité, une capacité, d’harmoniser et de créer un fil conducteur entre les constructions de différentes périodes architecturales.

La transition à la fois énergétique, numérique et climatique impose une nouvelle manière de construire les villes, comment voyez-vous l’évolution dans la banlieue des politiques urbaines actuelles ?

Nous avons un impact sur le patrimoine existant, en termes de rénovation énergétique, qui a une répercussion importante sur les économies d’énergie et sur l’aspect esthétique des quartiers. Nous avons également un impact sur les nouvelles constructions, qui se montrent d’abord sous forme de densité. Ensuite avec l’emploi de nouveaux matériaux particulièrement en ce qui concerne des projets témoins.

Je pense qu’on peut mesurer la qualité de l’architecture sur la base de sa « sincérité », c’est-à-dire que les projets capables d’apporter plus à notre époque, sont ceux qui ont l’objectif de valoriser les matériaux et les technologies contemporaines avec une esthétique cohérente, sans l’obligation de chercher des réponses dans les réalités du passé (néoclassique, faux haussmannien…)

On dit que l’avenir est aux métropoles et à ce sujet un nouveau territoire est en devenir, le Grand Paris. Avez-vous déjà trouvé votre place ?

Le planning du Grand Paris impose de respecter des dates butoirs et de faire, des différentes interventions, des exemples. Pour obtenir ces objectifs, la tendance est celle de se retourner vers les agences affirmées, habituées à travailler à grande échelle.

L’impératif des décideurs est de ne pas prendre de risques, donc ça reste difficile pour une jeune agence de participer aux concours, surtout quand le choix de l’architecte est influencé ou décidé par le promoteur qui souvent privilégie l’objectif économique et commercial de l’opération.

Vous défendez l’idée de constructions écologiques, mitoyennes à des bâtiments du siècle dernier, comment le mariage doit s’opérer entre l’urbanisme d’une ère industrielle et celle écologique d’aujourd’hui ?

Une des solutions les plus souvent utilisées est d’isoler par l’intérieur les façades ; de plus en général on peut dire que dans le cas des bâtiments historiques on doit faire une étude cas par cas.

Vous êtes une adepte de l’architecture de proximité, comment vous vous positionnez face aux immenses projets d’aménagement actuels du Grand Paris ?

Les aspects économiques et politiques ne laissent pas toujours la place à des propositions qui pourront enrichir ces opérations. La conception n’est pas préservée comme une valeur en elle-même, mais plutôt mise au service d’autres priorités.

En fait l’obligation prévue pour participer aux sélections pour les terrains du Grand Paris, qui oblige l’architecte à s’associer au promoteur pour pouvoir participer, soutient les relations déjà consolidées au dépit des nouvelles ressources.

Les enjeux économiques sur de vaste échelle imposent la règle du « risque zéro », c’est-à-dire que les forces économiques mènent les opérations et la qualité architecturale est jugée en fonction d’éviter toutes possibles critiques de la part des citoyens, quand nous avons constaté que l’innovation, par définition attire toujours des critiques.

Pour beaucoup d’observateurs, l’urbanisme de la banlieue française de l’après-guerre, restent comme une des grandes blessures de l’urbanisme européen du siècle dernier. Comment y remédier ?

Ce vaste tissu de la période d’après-guerre donne une réponse simple aux exigences de l’habitat, surtout à la densité qui reste un sujet d’actualité. Il forme une sorte de maille, de base sur laquelle des opérations plus qualitatives vont s’intégrer. Ce vaste patrimoine peut quand même subir une métamorphose grâce à la rénovation énergétique. Le changement d’aspect influence même psychologiquement les habitants qui ne sont plus reliés à vivre dans des bâtiments d’une autre époque.

Nous sommes dans une période où le numérique impacte fortement les métiers de l’architecture et du bâtiment. Avez-vous développé une utilisation particulière des nouvelles technologies ?

Nous utilisons l’outil Revit depuis deux ans, ce choix est lié au fait qu’environ 80% des concepteurs ont privilégié ce logiciel, donc ça facilite les échanges entre structures qui sont régulièrement amenées à travailler ensemble sur un même projet. Ceci nous procure des avantages de gestion internes, par exemple des délais réduits pour apporter des modifications et des avantages de communication avec les ingénieurs, par exemple, qui peuvent plus facilement intégrer leurs structures ou gaines dans les mêmes volumes. Dans nos expériences, la synergie avec les constructeurs est encore en voie de développement.

On parle de plus en plus de villes intelligentes et connectées, peut-on avoir les mêmes débats dans les villes de banlieue de Paris ?

Oui bien sûr, à voir les systèmes de transport qui se multiplient et englobent dans leurs réseaux la région parisienne également. Les objectifs sont ceux de réduire la dépendance vers sa propre voiture et d’orienter au partage (autolib etc…). Je voudrais dire un mot sur les parkings, qui sont souvent le « nerf de la guerre » pour les constructions dans les banlieues. De plus en plus la réponse est donnée par l’extension des zones payantes pour garer la voiture au détriment des places gratuites.

Personnellement, je trouve que l’exemple le plus efficace est celui de l’Allemagne, où les organismes publics se chargent de construire d’imposants parkings souterrains.

Même des participations privées sont envisageables pour atteindre cet objectif. D’un point de vue esthétique et de la qualité de vie, suite à la réalisation des parkings enterrés, on pourrait augmenter les espaces verts en superficie, un élément souvent négligé dans les villes en voie d’expansion.

Pour ce qui concerne les transports en commun, encore un effort peut être à faire pour relier les villes des banlieues entre elles, plutôt que de privilégier la concession avec Paris qui oblige à se rendre dans le cœur de la ville, pour pouvoir rejoindre une autre ville de banlieue. Et cela même si ce n’est pas le parcours le plus logique et rapide.

Votre atelier Tiresias est orienté vers le développement durable et la construction bois. Comment les services d’urbanismes des collectivités locales en banlieue, appréhendent une telle approche architecturale ?

Il y a une ouverture certes, en même temps, il s’agit d’une adhésion plus formelle que partagée. Il y a une fracture entre l’architecture traditionnelle française, basée sur l’utilisation du parpaing et les tuiles et les matériaux préconisés par le développement durable, donc ça implique une certaine méfiance.

Je pense que des formations à ce sujet peuvent être utiles. Par exemple, pour la maison individuelle (construction neuve ou extension) il est exigé une attestation de conformité à la RT 2012, mais les services d’urbanisme n’ont pas généralement les connaissances pour vérifier ce document, comme l’auto-certification de la part du maître d’ouvrage ou du constructeur qui souvent se réduit à une pure formalité.